Friedrich Hölderlin
Par magali le vendredi, juin 23 2006, 10:48 - influences - Lien permanent
« Sais-tu, dit-il entre autres choses, pourquoi je ne me suis jamais soucié de la mort ? Je
sens en moi une vie que nul dieu n’a créée, nul mortel engendrée. Je crois que nous
existons par nous-mêmes, et que seul notre libre désir peut nous assurer des liens aussi
étroits avec le Tout.
- Je ne t’avais jamais entendu parler ainsi, remarquai-je.
- Que serait ce monde, poursuivit-il, s’il n’était un concert d’êtres libres ? Si les vivants,
d’emblée, n’agissaient ensemble en lui, poussés par un élan joyeux, dans le sens d’une
seule vie à plusieurs voix ? Ce serait un morceau de bois, une chose froide, une vague
machine sans coeur.
- Ainsi, répondis-je, serait vraie au sens le plus haut la parole selon laquelle sans la
liberté, tout est mort…
- Sans doute ! s’exclama-t-il. Si nul brin d’herbe ne croît qu’il n’ait en lui son germe de
vie, combien sera-ce plus vrai de moi ! Ainsi, ami, c’est parce que je me sens libre au
plus haut sens du mot, et sans commencement, que je suis sans fin, que je suis
indestructible. Si c’est la main d’un potier qui m’a fait, il peut briser le vase à sa guise.
Mais ce qui vit à l’intérieur du vase est nécessairement inengendré, de nature divine en
son germe, élevé au-dessus de toute puissance et de tout art, donc invulnérable, éternel.
» Chacun a ses mystères, Hypérion, ses pensées secrètes : telles ont été les miennes,
depuis que j’ai commencé à penser.
» Ce qui vit ne peut être arraché, demeure libre jusque dans la plus profonde servitude,
demeure un même si on le fend de part en part, demeure invulnérable même si on le
blesse dans sa moelle : et son essence échappe d’un victorieux coup d’aile à ta prise…
Mais le vent du matin se lève : nos bateaux s’éveillent. Ô mon Hypérion ! j’ai vaincu. J’ai
pris sur moi de condamner mon coeur à mort et de nous séparer, préféré de ma vie !
Ménage-moi maintenant, épargne-moi l’adieu. Faisons vite ! Allons ! »
in Hypérion