08:12
J'ai besoin d'air.

10:42
Museler un chien n'a jamais servi à rien d'autre que : l'empêcher de mordre. Le chien reste toujours chien et continue à grogner si ça lui chante, avec ou sans muselière. Croyez-vous que les griffes d'un chien ne puissent faire autant de dégâts que ses crocs ? Allez, ne soyez pas si crédules ! Essayez ! Empêchez quelqu'un que vous jugez trop hargneux de parler ! Cela ne le rendra que plus hargneux.

12:24
Ce matin je me suis réveillé, avec la sensation étrange d'un retournement. Quelque chose de profond. Les années passent, mais le temps est passé de compter les jours et les mois et les années qui s'égrainent.

15:06
Nina n'est pas encore rentrée.

16:58
Nous étions comme deux chats : indépendants et dépendants l'un de l'autre. De la présence de l'autre. Une présence sauvage, ponctuelle. Au gré de nos envies. Nous avons construit, lettre à lettre, un petit monde de mots. Et de silence. J'ai enfin goûté au plaisir d'être à deux dans le silence, sans en être gêné. Le silence à l'état brut, comme empreinte muette d'une envie d'être avec soi-même quelques instants, en présence de l'autre.

18:31
Mes voyages ont assouvi mon besoin de bouger, m'ont permis de ne pas tourner en rond éternellement. J'ai calmé ce lion en cage qui continue à y tourner même si le dresseur lui ouvre la porte. Pour rien au monde je ne voudrais retourner faire ce cirque. Tourner en rond me détruisait, m'empêchait d'affronter la vie, celle que je devais faire mienne sans que quelqu'un ne me la prescrive. C'est une position bien confortable que celle du fauve en cage. Il sort quand on le lui ordonne. Il fait son numéro jusqu'à ce qu'on lui dise que c'est terminé. Et il retourne dans sa geôle. Jamais il n'a à prendre de décisions. Jamais il n'a à se confronter à ses propres désirs puisqu'on les lui dicte. Mais à force de les entendre, il finit par les faire siens, et peu à peu le fauve n'en est plus un.

20:48
Je me nourris des petits détails de la vie. Des petits événements qui surgissent au coin d'une rue. À la radio. Dans le café d'en face. Je suis un voleur de détails.

21:16
Les gens nous trouvaient « assortis ». Comme deux vêtements qui, sans pour autant être collés l'un à l'autre dans la penderie, semblent évidemment faits pour être portés ensemble. Nous étions deux vêtements avec une histoire commune et deux histoires séparées. Elle avait son travail, j'avais le mien. J'avais mes amis, elle avait les siens et parfois nous rassemblions tout ce petit monde le temps d'une soirée pleine de rires.

22:22
J'attrape chaque jour, depuis près de soixante ans, les miettes que laissent tomber les gens de leur bouche, de leur être ou de leurs relations, et les rassemble en un énorme gâteau de vie.

23:50
Depuis la fenêtre je pourrais presque la voir arriver si je me penchais un peu. Mais j'ai toujours autant le vertige et faire le guet, accoudé à la rambarde du balcon, n'est plus de mon âge. Nina n'est pas de ces femmes qui partent un matin et ne reviennent pas.

00:43
La lumière s'est éteinte.