Retour à –
Dans ma ville
Détour par l'étranger pour retrouver
mon Chez-Moi
Détour par –

L'ailleurs que l'on a chez soi
en soi
aller le chercher
ailleurs
pour d'ailleurs
le ramener chez soi.
Et le découvrir
Le redécouvrir
Et se découvrir
en passant par –
Traverser d'autres villes
et revenir à soi

Quelque part

Dépasser les frontières
et découvrir près de soi
ce que l'on a vu ailleurs
Marcher dans les rues de Paris
comme dans celles de Tanger
de Buda, Pest ou Cracovie
Avec le rythme de –
Le sien.

S'adapter aux conditions dictées par la ville
Faire balance avec le pas pressé des Parisiens
Accélérer celui des touristes
Éviter les écueils.

S'attarder sur ce que l'on a vu des milliers de fois
sans y prêter aucune attention
Regarder –
enfin
Ne plus s'expatrier pour voir ce qui est
à côté de soi
depuis longtemps
Ne pas détourner le regard de ce qui nous touche
de près parfois
Qui est souvent presque trop près
qu'on ne peut plus le voir
Ne pas divertir notre regard
Rester à distance suffisante
pour discerner
les choses
Marquer la différence entre soi
et les autres
Ne pas se fondre dans –
Mais être avec
Auprès de –
Tout près de –

Se serrer contre les villes
Tout contre
Sans jamais devenir ville soi-même
Garder son identité de femme
Garder son identité d'être humain
Ne pas se laisser absorber par ce
qui ne nous appartient pas
Ne pas se laisser déborder
Ne pas se laisser faire –

Ecouter
Les bruits
Sentir
Les sons de cette ville
Observer les statues
Les pénétrer du regard pour détecter –
Ont-elles une âme
Hormis celle de leur créateur ?
Sont-elles de marbre ?
Sont-elles de bronze ?

Qu'ont-elles à nous dire aujourd'hui
Situées là ou là ou là
Ou encore là ?
Posées à un endroit précis
Créées à un autre endroit
Tout aussi précis
Lieu de tous les possibles

Home –

Homme statufié
où se projettent toutes
les possibilités
Laisse croire à la liberté d'être
mais ne bouge pas
ne bouge pas d'un poil depuis qu'il est là
Installé là –
Que cherche-t-il sinon –
être admiré.
Ne peut plus regarder ceux en face
S'est trouvé une place et n'en bouge plus
Est figé à l'endroit du socle qu'il s'est lui-même construit
érigé dressé
pour s'élever au-dessus des autres
Ne les voit même plus
Est devenu statue, l'homme.

Regard d'un instant qui n'est plus
D'un instant fragile –
Où il s'est fait son propre créateur
Où il s'est bâti avec le regard pur d'un instant révolu
Le présent est devenu passé
S'est figé au bon moment au bon endroit
Et nous pouvons nous leurrer en le voyant –
Qu'est-ce qu'il est fier !
Qu'est-ce qu'il a l'air libre !

Mais il ne l'est plus –

C'était avant, tout ça
C'était il y a des jours, des semaines, des mois, des années
Des siècles !
N'existe plus l'homme que je vois devant moi aujourd'hui
Est-ce possible qu'il existe quelqu'un
Ici,
Qui laisse l'autre libre comme l'air
Tout le temps
En permanence
Sans en souffrir ne serait-ce qu'une fois ?
Un tel homme existe-t-il ?
Bien sûr que –
Evidemment que –
Sinon, que ferais-je ici aujourd'hui ?
Maintenant
Devant ma tasse de café
De thé
Devant ma table qui n'est d'ailleurs pas la mienne
Comptais pas être là
Avais pas décidé d'être là
Mais y suis
Sans pronom
Sans prononcer un seul mot
Qu'ai-je à y gagner à faire cela ?

Perdre la sensation de liberté des rues
Perdre le soleil fugace à travers les nuages
Perdre la beauté des statues de bronze de pierres du jardin –
Y suis passée aujourd'hui
Toujours aussi lumineux le jardin –
Toujours aussi grand

Les choses immuables ne vivent pas
Les gens immuables ne vivent plus depuis longtemps
Traversent la vie sans la voir
Traversent la vie sans la vivre
Se laissent traverser par ceux qui vivent
Bien mal ou de temps à autre
Mais ceux qui vivent
bougent
Ont une âme mutable
Changeable
Interchangeable
Se laissent sculpter par le temps
La lumière
Les saisons
Les rencontres
Qu'est-ce qu'une statue d'autre qu'elle-même
Face à une deux ou personne ?
Idem
Le regard d'un tiers sur elle change
Mais pas elle
Pas elle
Reste là, l'homme
Vit la non vie qu'il a voulu
Mais ne peut faire croire aux gens qui le regardent
Qu'ils sont libres de vivre à côté de lui
Seuls
les sans-abris
Peuvent trouver en sa compagnie la sensation
d'une présence
Parce qu'ils n'ont plus rien
Parce qu'ils ne croient plus en rien
Parce qu'ils ne vivent déjà plus dans la vie
Et ceux qui vivent encore ne s'installent pas
Surtout pas à côté d'une représentation de la mort
D'un temps arrêté
ça les perdrait
penseraient qu'ils n'ont rien ni personne à qui parler que
les choses dénuées de vie de la ville
quelle image ont-ils d'eux-mêmes ceux qui acceptent cela ?

marcher marcher marcher
mâcher les mots les faire marcher
avancer trouver une âme des mots
les faire dire autre chose
leur faire dire autre chose que ce qu'ils veulent dire
toujours la même rengaine
parler pour dire exactement le contraire de ce que l'on veut dire
sinon à quoi cela servirait-il de parler ?

S'taper
S'taper la mort
Et mourir.
Ce n'est plus cela,
Ma vie.

S'épandre en pixels lumineux
Sur les pages fictives
D'un écran noirci de lettres
Indépendant de ma volonté ce qui s'inscrit là
N'ai aucun pouvoir sur tout ça
S'étalent les mots qui ne m'appartiennent pas
S'agencent tous seuls
Mus par quoi ?
La liberté d'être,
De sentir, ressentir
l'espace tout autour
Se laisser déplacer par eux
Se laisser aller sans autre volonté
Que transmettre
Laisser transparaître ce qui circule en corps
Mes sensations
Tenter de les saisir
Un instant seulement
et attraper quelque chose d'autre
Et le laisser partir
Possibilité d'attraper toujours le même objet
Possibilité de saisir toujours le même sujet
Mais entre temps, le laisser s'échapper
Le laisser vivre sa vie

Autonome aussi
Comme moi

pas besoin d'être saisi en permanence
pas besoin de tout saisir constamment
accepter sa propre banalité
quotidienne ou fugace
ne pas toujours être créatif
ne pas toujours être inouï
se laisser libre d'être vu ou non
dans cet instant sans grâce
accepter de se laisser regarder
sous un jour peu flatteur
accepter de –
accepter de ne plus avoir peur de l'Autre

Jean sans Peur

destination inconnue
devant les yeux dans la rue tout à l'heure
y suis jamais allée
Devrais-je ?
Dites-moi

Non, ne me dites rien
Ce n'est pas à vous de décider pour moi
Y aller sans y être
Allée
Traverser la peur pour y retourner sans crainte
Faire confiance à ses sensations
Les laisser parler
Se parler
Entre elles
Les laisser me dire des choses
Que je ne veux pas entendre
Les écouter me dire des choses insensées
Ne plus leur fermer la porte au nez
Ne plus les calfeutrer
Ont le droit de vivre aussi
Les asphyxier, c'est m'étouffer moi-même
Aurai le thorax en vrac plus tard
Comme le ventre des souffrances
Les cajôler
Les dorloter
Ne plus les frapper
Ne plus les taillader
Ne plus leur faire mal
Vivent aussi ces formes
Sont aussi de la vie
Autre forme de vie mais vie aussi
Matière qui se déforme
Se déplace
Les laisser se poser là où elles veulent
Où elles ont la place d'être
N'auront peut-être plus envie de s'installer un jour
Si libres de bouger que –
Se poser, c'est cela qu'elles décideront de faire –
Auront besoin de –

Sentir la vie en soi
Sentir le mouvement des sensations
Comme celui des doigts sur le clavier
Libres d'aller où ils veulent
Retracent le parcours mélodique
Parcourent tout cela sans état d'âme

PAUSE

Café ?