Face à lui-même
le regard de l'homme
a disparu. L'orbite
recouverte de noir
éteint pour quelques temps
ce qu'il restait encore à l'homme
avant de se priver du sens
qui lui était le plus cher.

Dépossédé de toute réflexion
il s'empare du pinceau rouge
et masque son regard cerné de noir
derrière des lunettes de soleil
trompeuses et incongrues
au cœur d'une chambre plongée
dans la lumière fantasmatique
d'une heure nocturne.

L'insomniaque s'égare dans la nuit
cherche dans l'encre de Chine
une sobriété des lignes
pour une autoreprésentation
faite d'ombres et de lumières.
Répulsion des traits anguleux
d'un séducteur hirsute
en proie au doute
à cette heure où lumière
et prière semblent faire écho
l'une à l'autre.

Le peintre s'est emprisonné lui-même
entre confiance et menace
fidélité et trahison

Monologue infini

Ni parole Ni jouissances Ni bruit
Ni miroir
Introspection
tout en reflets.

L'art s'affiche en lanterne rouge
du dilemme de la création
et le chiffon seul
adroitement posé à la charnière du réel
peut effacer avant qu'il ne soit déjà trop tard
les dessins visionnaires
d'un regard porté sur –
à l'intérieur de –

Mais déjà Vénus se regardant au miroir
voit le visage de Mathusalem.




d'après les autoportraits de léon spilliaert


Autoportrait, 2 novembre, 1908
lavis d'encre de Chine, pinceau, crayon de couleur, pastel et gouache sur papier, 52 x 67 cm
collection particulière, Belgique